Dans le cadre des questions posées au gouvernement, ce jeudi à l’Assemblée de la Polynésie française, le Président Edouard Fritch s’est exprimé sur la récente période de confinement.
« Monsieur le Représentant,
Votre question – qui en fait sont plusieurs questions- apparait comme un pâle résumé des lettres ouvertes quotidiennes adressées par le président de votre parti en mal de tribune politique depuis qu’il a été confiné dans le modeste 15 m2 qui lui a servi un temps de domicile à Papeete. J’ai bien compris que vous vous êtes essayé à quelques pointes d’humour pour ne pas rester trop proche de la prose de votre mentor politique.
Quoi qu’il en soit, ces questions me font prendre conscience que nos priorités en matière de sauvegarde de la vie des polynésiens sont dramatiquement opposées à celles que vous exposez. Je suis stupéfait, pour ne pas dire abasourdi par le contenu de votre 1ère question, lorsque vous demandez les justifications précises ayant conduit au confinement général de notre pays, en précisant que cette décision a, selon vous, fait passer de vie à trépas les activités économiques dans notre pays.
Je souhaite vous confirmer que la sauvegarde de la vie humaine a toujours été, et demeurera toujours, à la première place des priorités du gouvernement et des hommes politiques responsables qui le composent. C’est, et je le pense profondément, ce qu’attendent prioritairement les polynésiens dans leur grande majorité, des personnes politiques qu’ils ont choisies pour veiller sur leur sécurité et celles de leurs proches.
Je souhaite aussi vous rappeler, puisque vous semblez l’ignorer, que le choix de protéger la vie de nos populations a aussi été réclamé, dès le mois de mars les partenaires sociaux, c’est-à dire les organisations patronales et les représentants des salariés, au mois de mars dernier. Ils ont milité, avec détermination, pour l’instauration immédiate du confinement général des populations dans notre pays.
Les partenaires sociaux du secteur de l’éducation s’étaient également fortement mobilisés pour réclamer la fermeture des écoles, des lycées et des collèges. Ils avaient été en cela fortement soutenus par les associations de parents d’élèves dont la priorité consistait à protéger leurs enfants.
D’ailleurs, dans les nombreux courriers signés de Gaston Flosse, j’ai bien noté que le 13 avril il proposait lui-même de, je le cite, « continuer avec rigueur le confinement ». C’est un expert qui parlait et dont vous devriez vous inspirer parce qu’il a écrit au quotidien le scénario du confinement-déconfinement. S’est-il inspiré de Blake Edwards, l’auteur de la Panthère rose ?
Enfin, je vous invite à examiner les décisions prises par les dirigeants des pays de la région Pacifique. Ils ont tous opté pour la fermeture de leurs frontières car malheureusement c’était l’unique solution pour éviter la propagation de l’épidémie de la covid-19 dans leurs pays.
Mais peut être pensez-vous que l’activité économique devait à tout prix être préservée, et ce malgré les risques probables de perte de vie humaine comme cela s’est produit dans les pays touchés par la pandémie avant la Polynésie française. Faut-il comprendre que vous auriez fait le choix de conserver nos frontières ouvertes, si vous étiez aux commandes du pays ?
Avec le Haut-commissaire, Monsieur Dominique SORAIN, nous avons choisi de préserver la vie des polynésiens, sans toutefois renoncer à soutenir avec conviction notre économie polynésienne.
Nous en sommes tous bien conscients, une crise économique sans précédent va succéder à la crise sanitaire, qui n’est toujours pas vaincue dans le monde, puisque la pandémie continue d’y faire rage : On dénombre en effet près de 400.000 morts sur 6.500.000 personnes touchées par le coronavirus au 3 juin 2020.
Je rends grâce à Dieu pour qu’il nous aide à protéger nos familles et le prie pour qu’il continue de veiller sur le peuple Polynésien, tant que ce fléau continuera de frapper aux quatre coins de notre monde.
Comme j’ai pu l’exprimez lors de la dernière séance de votre assemblée, le gouvernement a dès le début de la crise sanitaire, sollicité le soutien financier de l’Etat pour accompagner le pays. Ce ne sont pas moins de quatre lettres qui ont été adressées au Premier Ministre pour lui exposer nos demandes. A la demande au Président de la République, un comité des financeurs Etat / Pays a été mis place pour examiner dans le détail des demandes du pays. Après validation de la demande par l’ensemble des membres de ce comité, j’ai sollicité officiellement la garantie de l’Etat pour 2 prêts de respectivement 37 Milliards pour couvrir les besoins du pays et de 19 Milliards pour combler la trésorerie de la CPS, afin de surmonter la crise économique dans notre pays. Nous attendons la décision de l’Etat qui ne devrait plus tarder désormais.
Est-ce que le PIB polynésien va diminuer de -23% comme vous l’affirmez ? Il est à mon sens trop tôt pour le dire, et les observateurs indépendants restent pour l’instant très prudents sur l’amplitude de la crise sur nos activités économiques. Alors, à moins de lire dans le marc de café ou détenir une boule de cristal, ce que je peux vous dire, c’est que mon gouvernement mettra tout en œuvre pour accompagner nos entreprises et les acteurs économiques à traverser cette crise dans les meilleures conditions possibles.
A cet effet, au plan du soutien apporté aux entreprises par le pays, les dispositifs d’aides tels que le RES, l’IS ou encore l’IE ont permis de soutenir à la date du 3 juin dernier, près de 12 000 emplois pour un montant total de 1,869 milliard F CFP et accompagner plus de 7 000 patentés à hauteur de 1,100 milliard FCFP.
Désormais, le dispositif du DIESE va permettre une prise en charge jusqu’à 90 % du salaire mensuel des employés (10 % du salaire restant à la charge de l’employeur), avec un plancher garanti fixé à 90.000 F. Pour les patentés, le dispositif DESETI va leur permettre d’accéder à une ressource financière de 50.000 F par mois en cas d’arrêt complet d’activité.
En réponse à votre 2ème question, je suis au regret de vous informer que l’extension de la mesure du chômage partiel votée au plan national ne signifie pas une prise en charge de 84 % du salaire net par l’Etat. Croyez bien que je l’aurais immédiatement demandé si cela avait été le cas. Pour votre parfaite information, s’agissant des collectivités d’Outre mer, l’Etat consentirait en effet à accorder sa garantie uniquement pour un prêt contacté par la Polynésie française auprès de l’AFD par exemple pour financer un dispositif de chômage partiel. Il n’a jamais été question que l’Etat finance directement un dispositif de chômage partiel en Polynésie française et l’ordonnance du 25 mars 2020 ne fait pas état d’un tel dispositif.
Pour vous rassurer sur les perspectives de mon gouvernement, le financement des mesures DIESE et DESETI précédemment exposées a été inclus dans ma demande précitée auprès de l’Etat.
Pour revenir sur votre proposition de prise en charge de 84% du salaire net par la Polynésie, ce n’est pas 50 milliards qu’il faudrait emprunter mais au minimum le double. Qui va payer ? Sur combien d’années ? Cela me rappelle la proposition de prêt de 500 milliards que vous avez fait miroiter aux polynésiens lors des élections de 2018. C’est la panthère rose qui se transforme en miroir aux alouettes.
S’agissant de la trésorerie de la CPS, et des demandes de moratoires exprimées par les entreprises, je dois avouer que j’ai du mal à vous suivre. A un moment vous défendez l’idée de préserver les emplois en soutenant les entreprises et le moment d’après vous pester contre le moratoire de paiement des charges sociales qui permet à ces mêmes entreprises de conserver leur trésorerie.
Je tiens tout d’abord à rappeler que le plan de sauvegarde économique dont, je suis persuadé, vous avez pris connaissance au mois de mars dernier, précisait que le report des cotisations patronales sans application de pénalités de retard était accordé pour 3 mois, soit jusqu’à la fin du mois de juin. Au-delà, la décision de report ne peut être accordée que par la direction de la CPS dans le cadre normal de la gestion des régimes, au regard de la situation du demandeur.
Je vous rappelle également qu’à de nombreuses reprises, il a été demandé aux entreprises dont l’activité n’avait pas cessé durant la période de confinement et à celles dont la situation financière le permettait de faire preuve de civisme fiscal et social en s’acquittant des impôts et des cotisations sociales malgré les facilités qui leur avaient été accordées durant la crise.
Il me semble que cet appel a été entendu puisque s’agissant des recettes fiscales, le rendement a subi une baisse de 29,55 % par rapport au mois d’avril 2019 (5,138 milliards XPF en avril 2020 contre 7,294 milliards XPF en avril 2019) alors que l’on pouvait craindre une situation bien plus catastrophique puisque presque toute activité économique avait été suspendue durant cette période. De même, pour les cotisations sociales, elles ont atteint un montant total de 6,605 milliards XPF pour des recettes mensuelles qui avoisinent habituellement les 8,3 milliards XPF, soit une baisse d’environ 20,42 %. Si les grandes entreprises avaient décidé de profiter d’un effet d’aubaine, comme vous semblez l’exprimer, aucun paiement n’aurait enregistré. Or, elles ont joué le jeu de la confiance mutuelle et ont ainsi participé activement au soutien de l’économie polynésienne.
Vous voyez, c’est à mon sens une erreur que de toujours chercher le Diable là où il ne se cache pas.
Et puisque vous êtes friand de belles citations, je finirai mon propos par une citation de Saint Matthieu « si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont tous deux dans un trou ».