Dans le cadre des questions posées au gouvernement, ce jeudi à l’Assemblée de la Polynésie française, le ministre de la Santé, Jacques Raynald, s’est exprimé sur la thématique des soins psychiatriques.
«Monsieur le Représentant,
Vous avez souhaité attirer notre attention sur la prise en charge des « soins psychiatriques » de la population polynésienne.
Je vous remercie pour cette question qui vient donner un éclairage particulier à un problème de santé récurrent et peut-on dire : permanent, dans notre fenua.
Il ne vous aura pas échappé que la santé mentale est une des préoccupations de la Polynésie française depuis plusieurs années.
Les deux derniers schémas d’organisation sanitaire (S.O.S) en ont fait d’ailleurs un de leurs axes prioritaires. A ce titre, le schéma actuel (2016 – 2021) adopté par l’Assemblée de Polynésie française préconisait en 2016 l’élaboration d’un plan de santé mentale et la création d’un pôle de santé mentale.
Le travail sur ce secteur psychiatrique démarré suite à la restitution des résultats de l’enquête SMPG « Santé Mentale en Population Générale », conduite par l’association SOS suicide sous l’égide de l’OMS, fait apparaître que la Polynésie française connaît actuellement un certain nombre d’indicateurs préoccupants tels que l’augmentation des violences intrafamiliales et des addictions, la problématique des suicides chez les jeunes ; tout cela, dans un contexte de mutation sociale engagée depuis quelques décennies.
Cependant vous ne pouvez omettre que la santé mentale ne puisse se réduire aux soins médico-psychiatriques ou psychologiques mais doive également prendre en compte l’environnement familial et social des individus.
Aussi, dans la suite des travaux initiés en 2017 une série d’entretiens avec l’ensemble des partenaires impliqués dans le champ de la santé mentale a été menée afin de réaliser un état des lieux de l’existant et des problématiques principales rencontrées.
Cet état des lieux a couvert l’ensemble des déterminants de santé et a permis de décrire les différents facteurs influençant la santé mentale de la population tels que le logement, l’éducation, la prise en charge sociale, l’emploi, les transports, la législation, l’environnement, la sécurité, la justice…
Ce tour d’horizon nous a permis de dégager de grandes tendances faisant ressortir notamment que les jeunes et les personnes en situations de précarité sont les plus touchées et doivent faire l’objet de toute notre attention.
C’est ce travail de fond qui a permis l’élaboration du premier plan de santé mentale de la Polynésie française élaboré en concertation avec des partenaires et après la mise en place de groupes de travail.
Ce plan ne concerne pas uniquement le Ministère de la santé puisqu’il doit s’intégrer plus largement dans l’ensemble des politiques gouvernementales.
Le schéma d’organisation sanitaire prévoit, également, la création d’un pôle de santé mentale. A cet effet et en parallèle des travaux précédents, une démarche plus spécifiquement centrée sur l’offre de soins a été menée avec les services hospitaliers de psychiatrie et de pédopsychiatrie ainsi que les centres de soins de santé primaire et également avec le centre d’addictologie de la Direction de la santé. Cette collaboration interservices devait permettre d’élaborer le projet d’établissement du futur pôle de santé mentale. C’est ce travail qui l’inscrira plus globalement dans le plan de santé mentale.
Un point crucial de ce projet réside dans sa capacité à proposer un dispositif ouvert sur l’extérieur, privilégiant le « hors les murs » et prenant en compte les archipels pour rapprocher les prises en charge du domicile des personnes. A ce titre, le travail en collaboration avec les soins de santé primaire sera à renforcer ainsi que celui avec les partenaires extérieurs : les services sociaux et l’éducation nationale notamment.
A ce stade, vous me permettrez de citer quelques constats :
Malgré un niveau de spécialisation élevé et l’implication de nombreux partenaires, la Polynésie française, à l’instar des autres îles du Pacifique, présente des indicateurs préoccupants :
Des violences intrafamiliales qui concernent 70% des actes de violences. Dans l’enquête «Santé mentale en population générale » conduite en 2015, 44% des personnes interrogées disent avoir vécu un évènement traumatisant dont 30% une agression physique et 16% une agression sexuelle.
La famille polynésienne n’est plus aussi inclusive qu’auparavant et la violence existe en son sein.
Les repères socio-éducatifs sont bouleversés ainsi que les conditions et les modes de vie. Ces violences font le lit des troubles psychiques tels que les psycho-traumatismes et les dépressions.
Des addictions en augmentation
Les problèmes liés à l’alcool sont de l’ordre de 13% en Polynésie française contre 4% en France métropolitaine. Ceux liés à la drogue s’élève à 6% contre 2% en métropole.
De la problématique de la dépression et de celle des suicides qui reste préoccupante car elle touche les tranches d’âge « jeunes ».
L’enquête « santé mentale en population générale » montre que 20% des personnes interrogées ont présenté au cours de leur vie des symptômes dépressifs contre seulement 13% en France métropolitaine. L’estimation du risque suicidaire est de l’ordre de 26% sur le territoire contre 13% en métropole.
De l’augmentation des troubles psychiques liés au développement inquiétant des pathologies dites de surcharge et des affections liées à l’évolution rapide du mode de vie et des pratiques alimentaires en Polynésie française.
Par ailleurs, l’inégalité d’accès aux soins sur l’ensemble des archipels est un autre défi à relever, portant sur l’organisation des soins. Bien qu’on estime qu’une part importante de la population soit concernée par les troubles psychiques (environ 42%) selon l’enquête SMPG la recherche d’aide concerne uniquement 36 % de la population. Ces recours se font surtout auprès des relations, des congrégations religieuses, de la médecine traditionnelle et du psychiatre ; la médecine générale ou soins de santé primaire est un moyen très peu utilisé comparativement aux autres lieux dans le monde où l’enquête a été menée.
Ces constats ne sont pas l’unique particularité de la Polynésie française, ils rejoignent ceux effectués dans les autres îles du Pacifique occidental où l’on retrouve les mêmes préoccupations.
Bien que les acteurs soient nombreux en Polynésie française à œuvrer dans le champ de la santé mentale, aucun ne couvre l’ensemble du territoire et un certain nombre possède des compétences insuffisantes pour prendre en charge les usagers.
Pour répondre plus précisément à votre question, non le pôle public de santé mentale n’est pas « au point mort » selon votre expression. Les travaux débutés il y a plusieurs mois, interrompus une première fois, certes, ont repris, mais l’effet CoVid-19 a entrainé une nouvelle interruption. L’entreprise s’est depuis peu remise au chantier et la livraison est promise pour le début de 2022.
Vous semblez déplorer une absence de sectorisation sanitaire, nous renvoyant cependant à une référence métropolitaine datant de 50 ans…
A ce sujet je vous rappelle que la politique intersectorielle de santé mentale s’appuie actuellement sur deux relais : le système de santé et le secteur social. Or, le système de santé entre en ligne de compte pour seulement 12 à 20% dans l’état de santé des populations.
Les 80% restants se jouent en dehors du système de soins (Center of Disease Control and Prevention Atlanta 1982).
Chaque ministère contribue à la qualité de vie des citoyens au travers des déterminants de santé que sont le logement, l’emploi, les transports, le social, l’éducation, la santé, la justice, la sécurité, la culture, les sports… Il existe ainsi une responsabilité collective au regard de la santé mentale des populations.
Cela amène à reconnaître la portée interministérielle de la politique de santé mentale et la nécessité de travailler en transversalité et en partenariat avec les différents acteurs du champ de la santé mentale en permettant le décloisonnement des institutions.
Voilà donc une vision moderne de la prise en charge psychiatrique dans laquelle nous nous inscrivons. Cependant, compte tenu des spécificités locales et dans le cadre d’une première révision de la carte sanitaire de 2017, l’ouverture de lits de crise pour la pédopsychiatrie a été prise en compte. Je suis en mesure de vous annoncer qu’une nouvelle révision de la carte sanitaire sera effectuée sous l’égide de l’ARASS au deuxième semestre de cette année. Elle devra aboutir à une réévaluation des besoins, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, ainsi que sur les lieux d’implantation.
Sur la question du pôle hospitalier privé, la révision de la carte sanitaire dans le volet psychiatrie, permettra d’offrir aux éventuels opérateurs la possibilité de réaliser un pôle hospitalier privé.
Quant à la question des structures médico-sociales, des travaux seront réalisés en lien avec le Ministère de la famille et des solidarités en charge de l’égalité des chances pour définir l’ensemble des structures ou services sociaux ou médico-sociaux qu’il convient de développer afin d’assurer un meilleur accueil des personnes âgées.
En matière d’offre libérale spécialisée en psychiatrie, il est indéniable que l’offre de soin a été nettement diminuée par le départ de spécialistes qui n’ont pas été remplacés. C’est un fait auquel nous devons faire face, mais que nous ne pouvons maîtriser. Cependant au travers de travaux de concertation avec les professionnels de santé libéraux, l’établissement d’un accord pour une nouvelle convention collective serait apprécié. Celle-ci devrait permettre une actualisation de la nomenclature générale des actes médicaux qui, si elle est compatible avec l’état des finances de notre protection sociale généralisée (mise à mal pour l’instant par la pandémie de la CoViD-19), pourrait garantir une meilleure attractivité pour les professionnels du secteur psychiatrique.
En ce qui concerne l’accès direct aux soins psychiatriques, la loi sur les médecins traitants, loin de porter atteinte à l’accès aux soins psychiatriques, a plutôt vocation à mieux accompagner cet accès dans le cadre du parcours de soins. Par ailleurs je précise que dans le cadre de l’addictologie la loi sur le médecin traitant ne s’applique pas.
Enfin, votre questionnement concerne, je cite : « les modalités modernes d’accessibilité, telle que la téléconsultation ». Je vous informe que deux expériences récentes ont été réalisées au sein des services de santé publique des îles Marquises. Une consultation à distance a été réalisée entre Ua-Huka et le CHPf ainsi qu’entre l’Hôpital Louis Rollin et le CHPf au moyen de deux valises de télémédecine. Ces expériences ont été positivement concluantes et seront suivies d’un déploiement dans d’autres centres de santé éloignés. Elles permettront ainsi de renforcer la qualité des soins et de permettre de sécuriser les personnels de santé en situation d’isolement, autant que de besoin ».