La Conférence sur les océans, coorganisée par les gouvernements du Kenya et du Portugal, intervient à un moment critique alors que le monde cherche à résoudre bon nombre des problèmes profondément enracinés de nos sociétés mis à nu par la pandémie de la COVID-19 et qui nécessiteront d’importantes transformations structurelles et solutions partagées.
Après les annonces faites à l’occasion du One Ocean Summit de Brest en février dernier et la tenue du Blue Climate Summit au Fenua en mai dernier, notre Pays se devait de porter haut et fort les messages de la Polynésie française en particulier et des îles du Pacifique en général.
Lors de la première conférence de l’ONU sur les Océans qui s’était tenue en juin 2017 à New York, la Polynésie française s’était engagée sur la création de Tainui ātea et la multiplication des aires marines éducatives. Le premier engagement fût réalisé en 2018, le second se poursuit depuis 2012, le Fenua comptant aujourd’hui 30 aires marines éducatives. Et ce concept innovant polynésien fait des émules, la France comptant aujourd’hui environ 300 aires marines éducatives.
Cette seconde conférence de l’ONU sur les Océans, qui a eu lieu du 27 juin au 1er juillet 2022 à Lisbonne au Portugal, a réuni les états membres de l’ONU, ainsi que les organisations internationales, régionales ou non-gouvernementales, comme par exemple notamment le Forum des îles du Pacifique, dont la Polynésie française est membre depuis septembre 2016, l’OCTA ou le Programme régional pour l’environnement (PROE).
Grâce à son statut de membre associé de la Commission Economique et Sociale pour l’Asie et le Pacifique de l’ONU, la Polynésie française bénéficie d’un statut particulier lui permettant d’intervenir au plus haut niveau lors des événements officiels.
Les interventions dans le cadre du programme officiel.
Le ministre de la Culture, de l’Environnement et des Ressources marines est donc intervenu à la tribune officielle lors du débat général le jeudi 30 avril pour revendiquer que les îles sont une source d’opportunités et de solutions, dessinant un développement alternatif au modèle de développement uniquement basé sur la seule croissance économique, en lui associant des objectifs d’amélioration du niveau et de la qualité de la vie, de réappropriation de concepts et de savoir-faire traditionnels et de création d’une solidarité entre les générations et entre les peuples.
Il termina son propos en interpellant la communauté internationale sur la question de la haute mer. En effet, si face aux crises climatique, sanitaire et économique, nous sommes tous engagés à réagir pour répondre aux besoins et lutter contre les menaces, il n’est plus possible de considérer la haute mer comme un espace libre de nos excès. Il a donc appelé à élever cet espace international au rang d’Héritage des Générations Futures.
Puis, et pour la première fois au nom et pour le compte du Forum des Îles du Pacifique, il est intervenu pour appeler à une augmentation des investissements et de la recherche pour un système alimentaire bleu durable à l’occasion des dialogues interactifs consacrés à la thématique « Rendre la pêche durable et permettre aux petits pêcheurs artisanaux d’accéder aux ressources et aux marchés marins ». Dans ce cadre, et plus spécifiquement pour la Polynésie française, il a repris l’appel répété par le Président Fritch depuis 2009 déjà sur la scène internationale pour contrôler voire interdire l’utilisation des DCP dérivants dans les eaux internationales.
S’exprimant au nom de la Polynésie française, la directrice de l’environnement a, quant à elle, souligné la nécessité d’un plus grand partage des connaissances scientifiques et traditionnelles, lors des dialogues interactifs consacrés la thématique « Gérer, protéger, conserver et restaurer les écosystèmes marins et côtiers », pour finalement partager un extrait de la vision globale du Programme régional océanien de l’environnement (PROE) en ces termes : « un océan Pacifique sain, qui puisse répondre aux aspirations des peuples insulaires océaniens et protéger leur patrimoine naturel et culturel ».
Le directeur des ressources marines, intervenant quant à lui dans le cadre des dialogues interactifs consacré à la thématique « Améliorer la conservation et l’utilisation durable des océans et de leurs ressources en appliquant le droit international, comme en témoigne la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer », a cité nos efforts de longue date pour protéger l’océan et a appelé à une zone protégée en haute mer. Il n’est en effet pas juste, a-t-il insisté, de demander aujourd’hui aux petits pays insulaires de porter des efforts supplémentaires de conservation, alors que nous sommes par ailleurs les premières victimes du changement climatique et de la surpêche qui ne sont pas de notre fait.
Outre les interventions effectuées dans le cadre du programme officiel de la conférence, la délégation de la Polynésie française est également intervenue lors d’événements parallèles (side events).
Les interventions dans le cadre des événements parallèles.
Trois side events en particulier sont à retenir. Le premier fût organisé par le Global Islands Partnership (GLISPA), un partenariat d’îles réparties à travers le monde et chargé de construire et renforcer des partenariats qui mettent en œuvre des objectifs mondiaux de résilience, de conservation et de durabilité sur les îles, en particulier les objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. GLISPA aide notamment ses membres à élaborer des stratégies pour attirer l’attention et le soutien du monde entier sur les solutions et initiatives insulaires, en particulier par le biais de grandes réunions et conférences internationales.
Portant sur la thématique « Surmonter l’incertitude de la gouvernance des projets de conservation à grande échelle – une perspective de leader pour le dialogue », il a rappelé l’importance de l’implication des populations locales dans les projets de conservation de l’environnement, en citant deux exemples emblématiques, celui des Rahui dont on assiste la renaissance partout au Fenua et celui du comité de gestion de la Réserve de Biosphère de la Commune de Fakarava.
Le second événement fût organisé le Programme régional océanien de l’environnement (PROE), organisation intergouvernementale chargée de promouvoir la coopération, d’appuyer les efforts de protection et d’amélioration de l’environnement du Pacifique insulaire et de favoriser son développement durable. Le PROE a ainsi proposé un événement consacré à « Un continent pacifique bleu durable : intensifier l’action grâce aux sciences océaniques, savoir traditionnel pour une gouvernance éclairée » dans lequel, après avoir cité des exemples de connaissances de nos pêcheurs locaux sur la manière de préserver des sites importants pour la biodiversité, il a notamment indiqué que dans les atolls les habitants vivent grâce aux connaissances traditionnelles accumulées depuis des millénaires, leur permettant de connaître parfaitement leur environnement.
Enfin le troisième événement fût organisé par l’Association des pays et territoires d’outre-mer (OCTA) qui rassemble les gouvernements des 13 pays et territoires d’outre-mer de l’Union européenne. Situés dans le Pacifique (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna), les Caraïbes (Aruba, Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Barthélemy, Sint Eustatius et Sint Maarten), l’Atlantique Nord et l’Arctique (Saint -Pierre-et-Miquelon et Groenland), ainsi que les régions de l’océan Indien et de l’Antarctique (Terres australes et antarctiques françaises), les membres de l’OCTA couvrent une zone économique exclusive combinée de plus de 17 millions de km² constituant l’une des plus grandes zones maritimes du monde.
Il est donc intervenu pour souligner que la plupart des problèmes provoqués par le changement climatique sont communs à tous les insulaires et que nous avons les mêmes défis à relever, en ces termes : « Au fil des rencontres, de nos échanges et de nos discours, je me rends compte que nous nous complétons. C’est pourquoi je voudrais insister sur cette idée simple que nous devons faire qu’un : un océan, une voix ! ».
Outre ces 8 déclarations officielles rappelées ci-dessus, la Polynésie française a elle-même organisé un événement parallèle.
Un side event Polynésie française.
Organisé autour de la thématique « Gestion culturelle et durable des économies bleues insulaires et des écosystèmes océaniques », cet événement comptait de nombreux intervenants invités parmi lesquels, pour le premier panel consacré aux « Réussites nationales et régionales, obstacles, approches culturelles et besoins d’assistance » :
- l’Ambassadeur Peter Thomson, Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour les océans, qui est intervenu à propos des engagements volontaires et le rôle important que jouent/devraient jouer diverses institutions, y compris le soutien technique et le financement bleu pour les « Petits Etats Insulaires en Développement (PEID) » ;
- Monsieur Flavien Joubert, ministre de l’Agriculture, du Changement climatique et de l’Environnement des Seychelles, qui est intervenu à propos du projet de Grand Mur Bleu de l’océan Indien ;
- Mr Filimone Tuivanualevu, Conseiller climat au ministère de l’Economie des îles Fidji, intervenant sur l’utilisation des obligations bleues pour financer une économie bleue durable ;
- Monsieur Henry Puna, Secrétaire général du Forum des Îles du Pacifique, intervenant à propos des engagements des îles du Pacifique et leur signification.
Il s’est exprimé à cette tribune à propos de tous les efforts entrepris par les gouvernements polynésiens successifs pour protéger et gérer de manière durable les espaces et les espèces polynésiens et surtout pour ne plus nous voir comme de simples victimes vivants sur de petites îles isolées, mais comme un continent océanique d’innovations et de solutions.
Monsieur Denis Robin, Secrétaire général de la mer, nous a fait également l’honneur d’être présent.
Pour le second panel consacré au « Soutien technique à l’économie bleue et mécanismes de financement bleu durable pour les PEID. Comment cet accompagnement intègre-t-il des approches culturelles ? », nous avons pu compter sur la présence de :
- Madame Minna Epps, Directrice du Centre d’action pour la conservation IUCN Océan, abordant le sujet des engagements futurs pour les PEID et les opportunités à long terme ;
- Madame Kate Brown, Directrice Exécutive du Global Islands Partnership (GLISPA), présentant le projet Local2030 Islands Network ;
- Monsieur Fabrice Bernard, Fondateur de Small Islands Organisation (SMILO), organisation non gouvernementale qui accompagne les petites îles de moins de 150 km² souhaitant s’engager vers une gestion territoriale plus durable, intervenant à propos de la coopération internationale pour le développement durable bleu ;
- Docteur Mélissa Walsh, Responsable de programme, Ocean Finance Initiative à la Banque asiatique de développement, à propos des mécanismes de financement pour les PEID ;
- Monsieur Romain Chabrol, Expert biodiversité et océans auprès de l’Agence française de développement (AFD) à propos des financements de l’économie bleue ;
- Et enfin Madame Valérie Hickey, Représentante de la Banque Mondiale, à propos des financements de l’économie bleue.
Rassemblant plus de deux cents participants, cet événement parallèle organisé par la Polynésie française a remporté un réel succès, surtout qu’il était le seul événement organisé autour de la thématique culture et nature.
Au final, la Polynésie française a pu intervenir officiellement une dizaine de fois aux différentes tribunes officielles, dont deux au nom et pour le compte de l’OCTA et une fois au nom et pour le compte du Forum des Îles du Pacifique. Il est important de rappeler que c’est la première fois que la Polynésie française intervient au nom et pour le compte des membres du Forum.
Enfin, outre l’ensemble de ces événements, la conférence a permis des rencontres bilatérales.
Les rencontres bilatérales.
En plus de toutes ces interventions officielles, le ministre de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu, a eu l’occasion de rencontrer à l’occasion de rendez-vous informels des partenaires actuels du Fenua ou d’éventuels futurs partenaires. Une dizaine d’entretiens individuels ont eu lieu durant la semaine de conférence avec notamment les représentants de Saint Lucia, des Seychelles, des British Virgin Islands ou encore de l’ensemble des représentants du Pacifique.
A noter le retour sur la scène internationale de la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique de l’Australie. Le ministre a eu l’occasion de rencontrer Madame Tanya Plibersek, ministre de l’Environnement et de l’Eau. Cette rencontre a tout d’abord été l’occasion de remercier le gouvernement australien pour son soutien dans le cadre de l’adhésion de la Polynésie française au Forum des Pays du Pacifique.
Le ministre a ensuite exposé les ambitions de la Polynésie française de développer le secteur de l’aquaculture insulaire en particulier et d’établir des collaborations avec les spécialistes australiens de l’aquaculture tropicale. Il a également évoqué les problèmes de pollutions et de traitement des déchets sur notre territoire et la nécessité de mettre au point des systèmes de traitement qui puissent être déployé à l’échelle de nos îles. La ministre Tanya Plibersek a été particulièrement sensible à cette problématique à laquelle l’Australie doit également faire face, et qui développe depuis peu des systèmes de traitement intrinsèques.
Que retenir de cette conférence internationale ?
- La protection de l’océan est désormais inscrite à l’agenda international.
Rappelons qu’avant 2015, la protection de l’océan n’était pas inscrite à l’agenda international. La réunion des leaders polynésiens à Papeete en préparation de la COP21 de Paris et la signature du PACT (Polynesia against climate treats) sur le marae de Taputapuātea sont à l’origine de cette inscription. Depuis lors, et sur insistance des leaders du Pacifique, l’ONU a déclaré la période 2021-2030 Décennie ONU de l’océan.
- La Polynésie française est un exemple à suivre.
Très souvent, la Polynésie française est comparée à un grain de sable au milieu de nulle part. Cela est vrai pour l’ensemble des îles du Pacifique, et plus généralement de tous les Etats insulaires. La preuve en est, on parle régulièrement de Petits Etats Insulaires en Développement (PEID ou SIDS en anglais).
Or, les mesures de protection et de gestion durable des espaces et des espèces mises en place par le Fenua depuis plusieurs années déjà sont aujourd’hui citées en exemple. De petites îles éparses, nous devenons un continent océanique d’innovation et de solutions.
- Le message de la Polynésie française entendu au plus haut niveau international.
Si, en 1996, le Président Fritch a pris la décision de ne plus vendre de licence de pêche aux flottes étrangères et de réserver notre ZEE aux pêcheurs polynésiens, il porte depuis 2009 déjà le message d’interdiction des techniques de pêche impactantes dans les eaux internationales. Ce message est répété régulièrement auprès des instances internationales et a été repris pour la première fois au plus haut niveau à Lisbonne.
- La Polynésie française a un rôle majeur à jouer.
Compte tenu de tous les éléments indiqués ci-dessus, la Polynésie française a un rôle majeur à jouer en matière de protection de l’environnement, de gestion durable des ressources et de lutte contre les effets du changement climatique. Les relations très cordiales entretenues avec l’ensemble des Pays et territoires insulaires du globe en font un partenaire privilégié pour promouvoir un modèle de gestion des ressources, pragmatique et durable.