Monsieur le ministre de la Santé, Cher Cédric ;
Monsieur le maire de la commune de Pīra’e, représentée par Madame Éliane LECHENE ;
Monsieur le Juge des enfants ;
Madame la Présidente du Conseil de l’Ordre des Sages-femmes, Chère Matha ;
Mesdames et Messieurs,
Chers ami(e)s,
‘IA ORA NA ! Puissiez-vous vivre !
Je voulais avant toute chose adresser mes plus sincères remerciements à Madame la Présidente du Conseil de l’Ordre des Sages-femmes de Polynésie française, ainsi qu’à l’ensemble de ses membres. Matha, ‘ia ora na ‘oe !
J’ai l’honneur en ce jour, de présider à l’ouverture des quatrièmes assises des Sages-femmes de la Polynésie française.
Certains et certaines le savent sans doute, mais ce monde, le monde des sages-femmes, ne m’est pas totalement étranger, et c’est le moins que l’on puisse dire.
J’ai consacré la majeure partie de ma vie professionnelle à mon métier de sage-femme puis de directrice de l’École des sages-femmes et, en prenant la route ce matin, pour vous rejoindre, je faisais mentalement le décompte des êtres que j’ai eu le privilège de faire et de voir naître durant ma vie de sage-femme. Et le résultat m’a laissé songeuse. En tout et pour tout, j’aurai contribué à la naissance de 3 000 nouveau-nés. 3 000, me direz-vous, c’est peu, mais à y regarder de plus près, c’est aussi beaucoup.
3 000 nouveau-nés, ce sont autant d’individualités, autant de trajectoires personnelles et de parcours de vie différents. 3 000 nouveau-nés que j’aurai vu dans le plus simple appareil, ce sont aujourd’hui trois mille hommes et femmes, pour la majorité, devenus des adultes, nombre d’entre eux sont à leur tour devenus des père et mère, voire même des grand-père et grand-mère. D’ailleurs, certains parmi eux, que j’ai l’occasion de croiser, sont devenus des médecins, des enseignants, des architectes, des banquiers. D’autres ont réussi grâce à leurs efforts et à leur ténacité à s’extraire de leur condition initiale et ont réussi leur vie dirait-on, ou réussi dans la vie diraient certains. D’autres encore, moins chanceux, sont passés à côté de la vie, de leur propre vie. C’est ce qui fait sans doute le mystère de l’existence et de notre condition humaine.
Lorsqu’on prend un peu de recul, et en dépit de l’épaisseur du temps qui me sépare du début de ma vie professionnelle, c’était en 1981, il y a plus de 40 ans, il me vient à l’esprit que finalement, ces êtres que j’ai vu naître, avec plus ou moins de facilité d’ailleurs, font aujourd’hui société. Chacun d’entre eux, en fonction de ses talents, de ses forces, de ses vulnérabilités, de son histoire, de sa famille, de ses origines sociales, géographiques, participe à sa manière à la vie de notre si beau et si grand pays, à la grandeur de notre fenua, te fenua Mā’ohi.
De mon point de vue, face à la diversité, à la multiplicité des êtres, des trajectoires individuelles, des parcours de vie, des convictions, des attentes parfois contradictoires qui traversent notre société, il est à mon sens nécessaire de retrouver notre unité et de faire un, non pas en se référant à un âge d’or perdu et nostalgique, celui où tout allait bien, mais au contraire, en se rassemblant autour des valeurs culturelles, spirituelles, humaines dirais-je, qui sont le socle, le ciment, le pilier de notre Peuple, du peuple Mā’ohi.
Mais, me direz-vous, quelles sont ces valeurs principielles, quels sont les fondements culturels autour desquels notre civilisation polynésienne s’est édifiée au cours du temps, et que nous avons perdues de vue, et surtout de sens ?
Ces valeurs sont là, pourtant, elles sont latentes, elles attendent de trouver à nouveau à s’exprimer :
- Te Ora – la Vie ;
- Te Ri’i – L’Humilité et la Grandeur ;
- Te Tura – La Dignité ;
- Te Maita’i – La Bonté ;
- Te Hau – La Paix.
Je me dis que ces facettes essentielles de notre âme de Mā’ohi, nous sommes en train de nous en éloigner. Ces valeurs s’étiolent en même temps que s’amenuisent notre sens du sacré, notre spiritualité, notre lien à la nature, à la vie elle-même, à sa genèse, son développement, et à sa finalité profonde. Car au fond, et finalement, la Vie, n’est-ce pas l’éternel retour, une renaissance, une régénération, le cycle immuable des naissances et des décès qui succède au cycle immuable de la vie et de la mort des êtres ?
Néanmoins, je ne puis me résoudre à terminer ainsi mon propos, sans nous rappeler à toute et à tous, sans qu’il faille nous en souvenir, que nous sommes issus d’un peuple de vie certes, mais surtout d’un peuple créateur de vie, artisan de la vie, des tahu’a fānau’a !
Ainsi, nos ancêtres ne se contentaient-ils pas simplement de faire naître leurs petits êtres, de mettre au monde des nouveau-nés, comme nous les appelons, bien que cette tâche ne soit pas si aisée. Nos anciens étaient de véritables artisans de la vie ! Un nouveau-né n’avait aucun sens en soi, sinon celui de n’être qu’une forme vivante, juste une silhouette douée de vie, et c’était déjà l’essentiel, vous dirais-je.
Un nouveau-né n’était en fait qu’un stade dans le grand processus de la gestation, un moment du développement de la vie qui devait mener vers l’aboutissement suprême, l’existence d’un être humain.
Une fois né, il fallait désormais s’atteler à mener jusqu’à son terme cette gestation, hors matrice utérine, dirions-nous en langage des sages-femmes.
Ce petit être de vie devait prendre forme, il devait être façonné par des mains artisanes ointes d’huiles parfumées et magiques, gantées de plantes aux vertus multiples, et empreintes du pouvoir mythique du Dieu Tāne, qui fut la toute première forme vivante née, puis façonnée par les artisans des dieux pour qu’il ressemble en tous points à un humain.
L’on se mettait alors à l’ouvrage, pour sculpter cette nouvelle vie, cette nouvelle-naissance, pour lui donner une face, un avers, et un dos, un envers ; le façonner pour que son front soit fuyant et non proéminant, pour que ses doigts soient fins et longs, pour que sa peau soit luisante, résistante et douce ; mais aussi pour lui donner une âme, de l’esprit, du génie, etc., etc.
Je pourrais ainsi vous réciter longuement, tous les gestes et toutes les paroles sacrées qui président aux rites de naissance pour le bon développement de l’enfant, pour qu’il devienne en tous points parfait, pour qu’il existe en tant qu’Être vivant, doté de beauté, et doué d’humanité.
Voilà, mes chers amis, je clos ici mon propos, et je suis persuadée que ces quatrièmes assises des Sages-femmes de Polynésie française sauront apporter des outils d’artisan pour nourrir la réflexion des participants et de notre société, sur l’importance de notre culture mā’ohi, de nos traditions millénaires et de nos valeurs principielles, pour édifier ensemble, pour façonner, oindre et sculpter de nos mains, mais aussi avec notre cœur, une société qui nous ressemble, et qui nous rassemble !
Je vous souhaite une merveilleuse journée,
Et ne l’oubliez jamais :
- Nous ne sommes qu’un seul et même Peuple, le peuple du fenua Mā’ohi ;
- Nous n’avons qu’une seule terre, la terre du Peuple Mā’ohi,
- Nous sommes les serviteurs du Peuple Mā’ohi.