Monsieur le Haut-commissaire,

Messieurs les députés,

Monsieur le président de l’Université,

Cher Semir, cher Jean-Paul

Mesdames et messieurs,

 

Chers amis,

Le « Pacific Way » est historiquement une formule de Sir Ratu Mara, premier Ministre de Fiji, au début des années 70. Sa formule repose sur un jeu de mots, sur le double sens de « Pacific Way » qui peut à la fois signifier « à la façon du Pacifique, à la façon océanienne » ou « de manière pacifique, sans conflit ».

Le concept met donc en avant la primauté du dialogue et de la recherche du consensus pour résoudre tous les problèmes « de manière pacifique, à la façon des Océaniens », en prenant son temps, le temps nécessaire de la réflexion, le temps nécessaire pour une juste décision.

Après 50 ans, avons-nous gardé cet esprit du dialogue et du consensus ?

Au travers de nos rencontres internationales, je vois bien que les Océaniens n’ont pas la même vision et la même appréciation des faits et des évènements du monde. Je vois bien que leurs manières de constater ou d’observer les situations relèvent d’une sensibilité particulière. Je vois bien que leur approche du présent et de l’avenir, et donc du temps, peut être différente de celle des grands pays.

Au plan des valeurs, l’Occident porte l’héritage des Droits de l’Homme avec la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Le Pacifique est, quant à lui, moins imprégné de cette histoire européenne. Les valeurs qui lient nos communautés insulaires sont plutôt celles de Solidarité, de Cohésion, de Fraternité et de Paix.

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En outre, le dialogue et la recherche de consensus sont des pratiques qui existent dans la plupart des communautés du Pacifique.

Au sein du Forum du Pacifique, c’est le cas. C’est une règle sacrée. Lorsque certains décideurs tentent de déroger à la règle du consensus, ils sont rappelés à l’ordre et le sujet de débat, source de division potentielle, est renvoyé à une autre date.

Toujours au sein du Forum, afin de se donner le plus de chances d’atteindre le consensus, les leaders seuls, sans leurs collaborateurs, s’isolent et se mettent en séminaire d’une journée. C’est ce que le Forum appelle dans son agenda, « the leaders retreat ».

Cette journée permet à chaque leader d’être mieux à même, sans influence de ses équipes, de faire des concessions et d’accepter des compromis.

Encore récemment, cette pratique du consensus a pleinement joué dans l’organisation du sommet USA-Pacifique à Washington. En effet, les leaders membres du Forum et le président de Fiji, Bainimarama, en tête, ont spontanément exigé de l’exécutif américain d’inviter l’ensemble des 18 membres du Forum. La Maison Blanche a accepté la condition émise par les membres du Forum.

Cet exemple récent nous montre que cette recherche de l’unité et du consensus est encore bien ancrée. Dans le cas présent, elle permet de se sentir plus forts à plusieurs, ensemble, et d’être unis dans des pourparlers ou dans des négociations internationales.

Le consensus, tel que pratiqué au sein du Forum, a une vertu à la fois, au plan interne pour maintenir une cohésion, et externe pour se sentir plus forts.

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Aujourd’hui, dans les discussions multilatérales conduites par les leaders, le Pacifique est uni autour d’un socle commun de problématiques. Elles concernent notamment :

  • les conséquences du changement climatique ;
  • la préservation des ressources de l’océan ;
  • la surveillance de nos ZEE respectives ;
  • les pathologies sanitaires communes que sont l’obésité, les arboviroses, etc ;
  • la production d’énergies renouvelables ;
  • le traitement des déchets issus de la consommation moderne tels que le plastique ;
  • les transports internationaux régionaux.

En d’autres termes, nous profitons de notre petitesse pour nous unir, parler d’une seule voix et rester solides face aux plus grands que nous.

Les pays du Pacifique cherchent des partenariats avec des grands Pays capables de nous apporter des solutions ou de nous accompagner sur ces problématiques qui touchent la vie quotidienne de nos populations. Eliminer nos déchets et être moins dépendant des énergies fossiles sont des soucis de chaque jour.

Je souligne que rechercher des partenariats n’est pas faire allégeance.

Les Pays du Pacifique unis au sein du Forum du Pacifique veulent travailler avec tous les grands pays de ce monde. Le moteur des relations internationales est dans le triptyque « coopération, partenariat et développement ». On le réussit bien. Pour preuve, très récemment, ce dialogue des plus petits avec le plus grand de ce monde à Washington. Nous tentons de transformer notre faiblesse apparente provenant de notre petitesse, en opportunités et en atouts grâce à notre unité. Même si nous sommes en apparence de petits territoires insulaires, nous sommes en réalité, tous ensemble, un grand continent océanique.

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En ce qui concerne la Polynésie, le dialogue fait partie de nos méthodes. C’est dans notre ADN. Le consensus est recherché, voire souhaitée, mais il n’est pas une condition nécessaire et obligatoire.

En Polynésie, nous avons intégré la règle de la majorité moins bloquante que la règle du consensus, en tous les cas, plus rapide. Oui, plus vite, plus rapide.

Cette évolution de notre état d’esprit, aller toujours plus vite, nous a quelque peu écarté du Pacific Way.

Pour ma part, j’ai une préférence pour le Pacific Way qui requiert une plus grande écoute, un dialogue plus approfondi et plus enrichissant, et au final d’apporter des solutions plus appropriées.

Par ailleurs, Grâce à l’Autonomie, nous sommes nous-mêmes. Ce cadre statutaire original respecte fondamentalement notre culture, notre identité et nos langues.

De ce fait, nous nous exprimons et nous parlons à nos amis du Pacifique et au monde, avec notre âme océanienne, avec notre sensibilité, avec nos convictions. Nous pouvons le faire grâce à l‘Autonomie et nous devons le faire car nous sommes avant tout océaniens.

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Et enfin, étant un Pays lié à la France, la Polynésie est de facto dans l’Indo-Pacifique. Est-ce que le Pacific Way a une place dans cet axe ?

Le Pacific Way, comme je viens de le dire, est un état d’esprit, une méthode, un mode opérationnel.

L’Axe Indo-pacifique est, quant à lui, une vision politique que la France et l’Europe veulent partager avec les pays de la région. Cet Axe n’aura de sens et de réalité dans le Pacifique que si la France et l’Europe viennent accompagner nos Pays dans les grandes problématiques communes au Pacifique que je viens de citer tantôt.

L’invitation du Président BIDEN à Washington allait dans ce sens. Il en sera de même lorsque le Président MACRON organisera un One Planet Summit extraordinaire dédié aux Pays insulaires, ici en Polynésie en 2023.

L’Axe Indo-Pacifique doit être un axe de solutions pour nos petits pays et états insulaires. Les bonnes solutions trouveront toujours un accueil consensuel auprès de nos amis du Pacifique.

Je vous remercie.