Jeudi 22 Juillet 2021
Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs les Ministres,
Mesdames, messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs les Représentants,
Chers amis,
Bonjour à tous,
J’ai souhaité prendre ce matin la parole devant vous pour évoquer la table ronde de haut-niveau Reko Tika qui s’est déroulée à Paris et le relevé de décisions qui m’a été transmis par le Premier ministre
Je souhaite à nouveau remercier le Président de la République, M. Emmanuel MACRON, pour avoir organisé, dans des délais courts, cet événement historique voire exceptionnel qui réunissait des représentants du groupe REKO TIKA, mais aussi de nombreuses hautes personnalités de l’Etat.
Le terme de haut niveau est de circonstance puisque la délégation polynésienne a eu comme interlocuteurs, non seulement, le Président de la République, qui s’est déplacé en personne pour l’occasion, mais aussi trois ministres du gouvernement CASTEX, sans oublier les personnalités extrêmement qualifiées de l’Etat. Ils nous ont également exposé avec clarté et transparence l’ensemble de leurs travaux et de leur réflexion sur des sujets aussi complexes que ceux que nous avons abordés.
Je tiens également à remercier tous ceux et toutes celles qui se sont associés localement aux travaux préparatoires de cette table ronde et je pense particulièrement à M. Joël ALLAIN, à Tahiti, et à son homologue parisien, le Préfet Alain ROUSSEAU, qui ont coordonné avec professionnalisme et brio la démarche.
Je souhaite enfin signaler le très bon état d’esprit qui a animé notre délégation, en dépit des positions parfois divergentes des uns et des autres.
Malgré l’absence de deux des 3 associations qui sont impliquées historiquement sur le sujet, et deux des groupes politiques de l’Assemblée que j’ai personnellement invités, nous avons porté le message de tous, pour que la voix de l’ensemble des polynésiens soit entendue le plus largement possible par les autorités de l’Etat.
Je crois sincèrement, comme l’a indiqué M. Joël ALLAIN, coordonnateur de REKO TIKA, lors de sa conférence de presse du mercredi 7 juillet dernier, « nous n’avons pas perdu notre temps ».
Très sincèrement, je souscris pleinement à ces propos et je fais mienne cette phrase, pour dire d’ailleurs que certaines associations ou représentants politiques qui nous critiquent auraient dû se joindre à nous lors de ces débats instructifs, enrichissants et sincères. J’ai regretté leur absence.
Il n’empêche, et malgré ce qui peut apparaître comme une division des Polynésiens, la délégation REKO TIKA a porté haut et fort les doléances des associations, qui ont participé activement à nos travaux de préparation, car pour mémoire, nous avons tenu 8 réunions localement avant de partir. Je puis vous affirmer que la parole était libre et tout le monde a pu s’exprimer.
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J’en viens maintenant au courrier du Premier ministre qui souligne d’ailleurs « l’intense préparation par les groupes de travail » mis en place à Papeete et la qualité des spécialistes de très haut niveau qui sont intervenus à Paris.
Dans ce courrier, le Premier ministre explique qu’à la suite de la table ronde, et je le cite : « j’ai souhaité, sans délai, vous faire part des conclusions que j’en tire pour l’action du Gouvernement dans les mois à venir ».
Nous entrons bien dans le concret et dans l’action.
Ce faisant, le Premier ministre estime que le « caractère exceptionnel » de la rencontre a permis « de poser de nouvelles bases à notre dialogue sur ce dossier sensible », reconnaissant je le cite : que « l’Etat n’a, jusqu’à présent, pas suffisamment communiqué ».
La conclusion qu’il en tire est « l’évidente nécessité d’améliorer et de qualifier l’information sur ce sujet, dans les mois et les années à venir, s’est imposée ». Aussi, il précise que « les organismes présents sont prêts à répondre à toute sollicitation pour venir, le cas échéant, sur place à la rencontre des Polynésiens, pour leur présenter leurs travaux ».
J’estime qu’il est important que ces experts puissent venir en Polynésie, notamment pour présenter leurs études et leurs conclusions.
Ainsi, chacun pourra disposer du même niveau d’information et pourra éventuellement, s’il le souhaite, confronter librement ce qui est dit ou ce qu’il pense avec d’autres éléments et d’autres points de vue.
C’est en fait un dialogue contradictoire qui doit être engagé par tous pour avancer. Je formule l’espoir que cette démarche d’échanges puisse reprendre avec ces experts qui sont prêts à nous ouvrir le livre de l’histoire du CEP et partager leur expertise.
Je vous le dis en toute conscience : tourner la page ne signifie pas la déchirer ou l’effacer, et encore moins fuir les responsabilités. Dialoguer, c’est rechercher la vérité, et je ne me trompe pas en disant que c’est notre souci en commun.
Il n’y a pas de syndrome de Stockholm. Bien au contraire, dialoguer c’est faire preuve de d’intelligence, de courage, de dignité et d’admettre la confrontation des idées d’égal à égal.
Dès lors que le gouvernement national s’est inscrit dans cette dynamique d’action, le Premier ministre vient de me confirmer qu’il a « donné les instructions nécessaires pour que des mesures pratiques, qui ont fait l’objet d’un consensus lors de vos travaux et paraissent structurantes pour l’avenir, fassent l’objet d’une mise en place rapide et concrète dans les semaines à venir ».
Venons-en sur les aspects pratiques des choses.
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La première mesure concerne « l’ouverture des archives ».
Je rappelle que l’ouverture et l’accès aux archives sont une revendication récurrente de nos associations qui s’ajoute à celles de nos historiens.
A cet égard, le Président de la République et le Premier Ministre nous confirment que tout sera déclassifié.
Cependant, et c’est parfaitement compréhensible, les archives contenant des informations dites « proliférantes », c’est-à-dire celles qui peuvent permettre d’avoir des éléments sur la construction de la bombe, ne peuvent être mises sur la place publique. C’est une exigence de l’ONU pour éviter la prolifération de l’arme nucléaire. Un travail de tri a déjà commencé et le Premier ministre indique qu’il sera « intensifié ».
Ainsi, et pour que « des fonds documentaires nouveaux soient communiqués très rapidement aux chercheurs et au public », le Premier ministre précise qu’une « commission sera chargée de superviser l’avancée des travaux » de tri. Effectivement, il y a urgence.
Il ajoute qu’il « vous a été proposé en séance de participer à leur choix, et à votre demande, de désigner à cet effet un correspondant polynésien qui contribuera à l’avancée de ces travaux ». Pour nous, c’est une avancée notoire dans la transparence puisque nous pourrons désigner, comme nous l’avons effectivement demandé, quelqu’un qui participera à ces travaux de tri.
Le Premier ministre réaffirme au passage « le soutien et la disponibilité de l’Etat à la création du Centre de mémoire », dont la conception, je le rappelle, relève de la responsabilité de la Polynésie française, comme cela l’a été réclamé par certains d’entre nous. D’ailleurs, nos associations ont participé à la définition de la programmation des contenus de ce Centre.
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Le Premier ministre aborde ensuite « les effets des essais nucléaires sur la santé, qui ne peuvent être niés ».
L’Etat est très clair dans cette affirmation. Le gouvernement central, non seulement, reconnaît, mais il fait un pas en avant.
Pour lui, « mieux comprendre et connaitre les mécanismes d’apparition et de développement des maladies radio-induites est essentiel, et la question notamment du lien entre l’exposition à de faibles doses des rayonnements ionisants et le cancer de la thyroïde devra être approfondie ».
Il annonce ainsi « l’extension et l’approfondissement de l’étude Sépia » afin de « prendre en compte l’ensemble des travailleurs présents sur les sites du CEP ».
C’était, notamment, une revendication ancienne de nos associations. L’étude Sépia, je vous le rappelle, est une étude qui a été confiée en 2019 par l’Etat à l’organisme indépendant SEPIA-Santé et qui concernait les causes de mortalité d’une cohorte de plus de 30.000 vétérans qui avaient été présents sur les sites du CEP entre 1966 et 1996 et qui portaient des dosimètres.
Là, le Premier ministre nous annonce que cette étude va être étendue à l’ensemble des travailleurs sur site, et notamment les personnels civils qui ne portaient pas de dosimètre.
Il souligne également que la liste des maladies radio-induites « pourra être adaptée au fil des travaux internationaux et notamment de l’UNSCEAR », le comité des Nations-Unies sur les effets des radiations atomiques. Là encore, lors de la table ronde, l’Etat s’est dit ouvert à ce que la liste des maladies radio-induites évoluent en fonction des travaux de l’organisation internationale UNSCEAR.
Il rappelle également qu’au travers de la Convention santé, je le cite, l’Etat apporte son soutien à « la qualification de votre registre des cancers et au développement de l’oncologie » et à « l’appui au dépistage et à la meilleure prise en charge des malades ». C’est une autre revendication forte de nos associations qui est prise en compte.
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Concernant l’indemnisation des victimes, M. Jean CASTEX réaffirme le principe posé par le Président de la République et qui doit s’appliquer : « l’Etat a créé un droit à l’indemnisation pour les victimes des essais nucléaires. Il a le devoir de permettre à tous ceux qui s’estiment victimes de présenter un dossier au CIVEN ».
Là encore, les propos du Président de la République, repris par le Premier Ministre, sont d’une clarté qui ne laisse aucune ambiguïté sur la volonté de l’Etat de rendre justice aux victimes.
Ce principe étant acquis, il fait aussi le constat que l’accès au dispositif d’indemnisation est complexe et peut décourager certaines personnes isolées.
Aussi, il précise que « la décision a été prise de mettre sur pieds une équipe constituée de personnes disposant de compétences médicales et administratives qui aura pour fonction de se rendre sur place, au plus près des Polynésiens, pour les informer sur leurs droits, les aider à évaluer leur situation de santé et à constituer leur dossier ». C’est ce que le Président a qualifié de « aller vers ». Il faut aller vers les gens et ne pas attendre qu’ils viennent à nous.
Le Premier ministre ajoute que cette équipe fera également ce travail auprès des ayant-droits et précise enfin « que le nécessaire sera fait par voie législative pour que le délai de dépôt des dossiers auprès du CIVEN soit repoussé de trois années (jusque fin 2024)». Encore une autre revendication de nos associations, satisfaite.
Enfin, des moyens financiers supplémentaires seront alloués au CIVEN.
Concernant la prise en charge par l’Etat des frais engagés par la CPS, le Premier ministre affirme nettement : « cette demande apparaît légitime » et il rajoute « Il est normal en effet qu’à côté du dispositif d’indemnisations individuelles, les dépenses engagées par la collectivité fassent l’objet d’un remboursement ».
C’est bien la première fois que les plus hautes autorités de l’Etat abordent avec autant de clarté le sujet de la CPS
Le principe est donc acquis, reste à voir rapidement les modalités pour la mise en œuvre.
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Concernant le volet des impacts sur les territoires qui concernait les travaux de la dernière partie de la table ronde, le Premier ministre rappelle « que les atolls de Moruroa et Fangataufa demeureront des emprises militaires », les traces des explosions et les déchets enfouis pouvant revêtir un caractère d’informations proliférantes. A cet égard, la délégation REKO TIKA a mis sur la table le principe d’une compensation pour perte de jouissance.
Pour ce qui concerne Hao, il retient que « les modalités de dépollution du site » font l’objet d’une « perspective de solution technique envisageable », telle que cela avait été abordé par notre délégation. Pour lui, un travail commun des services de l’Etat, du Pays et de la commune « doit être engagé rapidement ».
Le Premier ministre ajoute : « de même, l’Etat poursuivra, en lien avec le Pays, son appui aux projets de développement des autres atolls proches de Tureia, Reao et Gambier ».
Pour ce qui concerne le CRSD, le Premier ministre a acté « la prolongation de la durée de ce contrat afin de terminer les opérations qui s’y rattachent » ainsi que « la prise en charge des coûts liés à la dépollution amiante des bâtiments ». Enfin, il précise clairement que « les crédits non engagés seront redéployés sur des actions de redynamisation économique (et non désengagés comme c’est habituellement le cas) ». Sur le CRSD, la mairesse d’Arue a porté avec succès, la voix des 5 maires concernés par ce sujet conflictuel entre l’Etat et les communes.
Sur le volet des conséquences de l’arrêt des essais sur l’économie polynésienne, le Premier ministre a reconnu que la réunion n’a pas eu le temps d’approfondir ces sujets : « la table ronde n’a permis que d’amorcer la réflexion sur ces sujets stratégiques pour la Polynésie française, et qui dépassent bien évidemment la question des conséquences des essais nucléaires. Aussi ai-je demandé au ministre des outre-mer, en lien avec les ministères concernés, de poursuivre cette réflexion avec vous ».
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Globalement, au travers de son courrier, le Premier ministre non seulement confirme nos premières impressions, mais il apporte sans ambages des éléments de réponse à la presque totalité des doléances qui ont été présentées à l’occasion de la table ronde.
Il précise en outre, que ce « sont les principales conclusions sur lesquelles j’engage mon Gouvernement et qui pourront faire l’objet de précisions ou de confirmations à l’occasion du prochain déplacement officiel de Monsieur le Président de la République en Polynésie française ».
Pour conclure, et suite à notre proposition, le Premier ministre aborde la question du suivi des mesures et le maintien dans la durée au sein « d’une instance permanente de dialogue » Etat-Pays. Il dit : « j’y attache aussi beaucoup de prix. Aussi ai-je décidé de placer auprès de mes services un dispositif de coordination et de suivi de ces dossiers dans un format qui reste à définir, et dont je vous tiendrai rapidement informé ». Il va de soi que de notre côté nous mettrons également en place les structures adaptées pour que ce dialogue et ce suivi soient les plus efficaces possibles.
Voilà donc les principales mesures actées par le Premier ministre et qui constituent une véritable feuille de route. Cela répond très largement aux doléances portées par la délégation REKO TIKA.
Alors, au-delà du changement de posture, de paradigme de l’Etat vis-à-vis de la reconnaissance des impacts des activités nucléaires entre 1964 et 1995, il faut maintenant mettre toutes ces actions et ces bonnes intentions en œuvre.
Le cap est bien tracé et nous faisons confiance aux engagements du Premier ministre pris au nom du Président de la République et à la volonté des plus hauts responsables de l’Etat d’aller de l’avant sur ce dossier et dans un délai rapide.
Je sais aussi, que le chef de l’Etat, qui sera prochainement parmi nous reprendra devant l’ensemble des polynésiens les mots forts et sincères qu’il a tenu devant notre délégation et je sais aussi qu’il s’engagera pour que nous puissions avec dignité, respect et confiance, reprendre la route de notre destin au côté de la France.
Pour conclure mon propos, je vous transmets un message de confiance car, sans oublier notre passé et ses diverses facettes, notre génération doit s’inspirer de ces expériences pour construire l’avenir et transmettre à nos enfants les valeurs de solidarité qui anime notre peuple Maohi.
Je vous remercie de votre attention.