Monsieur le Président de l’Assemblée,
Monsieur le vice-président,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les représentants,
Mesdames et messieurs du public, la presse,
La semaine qui s’est écoulée a été marquée par un tapage médiatique autour de la sortie du livre « Toxique ».
Je ne vais pas m’étendre sur le contenu de ce livre qui, pour l’essentiel, s’est appuyé sur les travaux de Bruno Barrillot et n’apporte que peu d’éléments factuels nouveaux, notamment par rapport aux travaux qui ont déjà été effectués par la commission d’enquête de notre assemblée dont le rapport a été publié en 2006 et débattu dans cette enceinte. Mais c’est vrai, à l’époque il n’y avait pas le tam-tam des réseaux sociaux et les mémoires se sont peut-être émoussées depuis 15 ans.
Même Oscar Temaru l’a affirmé vendredi à la presse : « c’est nouveau pour certains, mais rien de neuf pour nous ».
La seule nouveauté de cette étude concernerait la méthode de calcul des données dosimétriques des retombées des essais nucléaires, les auteurs affirmant que celles qui étaient fournies par le CEA étaient volontairement minorées.
Je n’ai bien évidemment pas d’opinion scientifique sur ces calculs, mais je vais évoquer avec vous un peu plus tard la position politique que m’inspire ce point de l’enquête.
Avant cela, je souhaite aborder un passage de ce livre selon lequel le gouvernement aurait, je cite, « obtenu un rapport confidentiel » sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires en février 2020.
Il ne s’agit en rien d’un rapport confidentiel, ni encore moins d’un rapport secret. Il s’agit d’une note rédigée par le médecin chef du Centre médical de suivi qui fait effectivement le point sur les conséquences sanitaires des essais au regard essentiellement des données épidémiologiques disponibles.
Cette note a été préparée à ma demande en prévision de la réunion annuelle de la Commission consultative de suivi des essais nucléaires, à un moment où le gouvernement central envisageait de supprimer cette commission. Cette même commission, où siègent notamment les associations, nos parlementaires, Nicole Sanquer et Moetai Brotherson, nous avons réussi à la maintenir et elle s’est réunie le 23 février dernier. Oui, nous avons réussi.
Cette note, je vais vous la faire distribuer si vous n’en avez pas déjà pris connaissance à travers les médias puisqu’elle a été publiée dans son intégralité.
Certains me demandent pourquoi je ne l’ai pas rendu publique. On a même insinué que je l’avais gardée secrète comme si j’étais un gardien du temple du dogme de la « bombe propre ». Est-il un ambassadeur de la France au lieu d’être le président de la Polynésie française s’est interrogé notre député indépendantiste.
Il n’est pas, j’en suis intimement persuadé, dans les habitudes des responsables politiques de rendre publique les nombreuses notes qu’ils reçoivent chaque année de leurs services. Surtout que la note en question, tout comme d’ailleurs le rapport de l’INSERM qui a été publié récemment, est une compilation de données publiques.
L’auteur de la note ne fait que citer un certain nombre d’études comme celle du ministère de la Défense, datée de 2006 sur la dimension radiologique des essais, le rapport Calméjane de l’Assemblée nationale de juin 2009, l’étude de l’INSERM datée de 2018 sur les conséquences génétiques des essais et celle datée de 2019 sur l’exposition des populations de Tureia, des Gambier et de Tahiti lors des essais atmosphériques.
Tous ces documents sont d’ailleurs disponibles sur le site Moruroa hébergé sur le site de l’Assemblée de la Polynésie. Au passage, je vous rappelle que ce site sur les essais nucléaires, c’est sous ma présidence de l’Assemblée qu’il a été mis en ligne, avec notamment le concours de Bruno Barrillot.
Il n’y a donc aucun élément de nature confidentielle dans cette note. L’ouvrage met en exergue un « cluster » de cancers au Gambier, mais tout le monde sait dans cette assemblée que le nuage radioactif a touché Rikitea dès le premier tir en 1966, précipitant le départ des autorités nationales et locales qui étaient présentes sur l’île, dont le général Billotte, qui était ministre de l’Outremer, et un certain Gaston Flosse.
Ce fait est d’ailleurs bien retracé dans le rapport de votre commission d’enquête. Bref, la présence de nombreux cancers au Gambier n’a pas été révélée par une note datée de février 2020. Elle était connue au moins depuis le rapport de la commission d’enquête de 2006.
Non, je n’ai rien caché, le gouvernement n’a rien caché. Je l’ai dit publiquement dans cette enceinte, il y a eu mensonge, propagande et dissimulation sur la réalité des conséquences des essais nucléaires. La confiance des Polynésiens a été flouée, le poison de la défiance s’est installé dans les esprits. Seule la connaissance peut être son antidote.
Ce que je recherche, comme tous les Polynésiens, c’est la vérité. Il est proprement insupportable que les données sur les essais soient remises régulièrement en cause.
Je l’ai dit également au président Hollande comme au président Macron, je l’ai répété face au ministre de la Santé Olivier Véran lors de la réunion de la Commission consultative de suivi des essais nucléaires le 23 février dernier, le fait nucléaire reste le caillou dans la chaussure qui nous gêne à chaque fois que nous voulons faire un pas en avant.
Aussi, dans le courrier que j’ai adressé la semaine dernière au président Macron, j’ai souhaité attirer son attention sur le désarroi profond que suscite la publication de ce livre et sur l’attente légitime qui en découle de voir l’Etat apporter des clarifications sur cette situation.
L’Etat a un devoir de vérité et de justice vis-à-vis des Polynésiens. C’est une question de dignité pour nous. Donc, le moment est venu de tout mettre sur la table et de lever les dernières zones d’ombre qui masquent encore la totale vérité sur les conséquences des essais nucléaires.
Je ne cherche pas à remuer le passé. Je cherche par contre à éclairer l’histoire de mon Pays blessé par ces essais. Ceci pour mieux rebondir et obtenir enfin la vérité tant attendue.
Cette recherche de vérité et de transparence, c’est ce qui me guide et qui guide notre majorité depuis que j’ai accédé à la présidence du Pays en septembre 2014.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai réactivé la Délégation au suivi des conséquences des essais nucléaires et demandé à Bruno Barrillot d’en assumer à nouveau la responsabilité. Il a œuvré pour notre cause, la cause des Polynésiens, jusqu’à son dernier souffle le 25 mars 2017.
Avec son appui, son travail acharné et ses conseils avisés, nous avons pu signer le 17 mars 2017 à Paris avec le président Hollande l’Accord de l’Elysée dont la pierre angulaire est la reconnaissance du fait nucléaire et de ses conséquences par l’Etat. Bruno est décédé la semaine suivante.
Mais déjà, lors de sa visite en Polynésie le 22 février 2016, François Hollande avait reconnu, à ma demande, que « les essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française ont eu un impact environnemental et provoqué des conséquences sanitaires ».
C’est dans ce cadre que nous avons obtenu de l’Etat qu’il finance notamment les équipements en oncologie du CHPF pour 700 millions CFP.
Sur ma sollicitation, Bruno Barrillot a également aidé les parlementaires du Tapura à préparer leurs arguments pour arracher la suppression de la notion de risque négligeable de la loi Morin par un article voté dans la loi EROM votée le 28 février 2017. Après quelques nouvelles péripéties et notamment grâce au renversement de la preuve mis à la charge des autorités, le CIVEN a pu toutefois accélérer le nombre d’indemnisations.
J’avais également confirmé auprès de Bruno Barrillot que soient diligentées des études indépendantes sur d’éventuelles conséquences transgénérationnelles. Des crédits ont été mis en place à cet effet dès 2017. La docteure Katsumi Furitsu, généticienne japonaise et spécialiste reconnue, était disposée à mener cette étude.
Mais la polémique ouverte ensuite par le rapport du docteur Sueur a créé un tel débat passionnel que la chercheuse a estimé que les conditions d’une étude sereine n’étaient plus réunies.
Lors de la révision statutaire de juillet 2019, nous avons pu faire inscrire la reconnaissance de la Nation de la mise à contribution de la Polynésie pour la capacité de dissuasion nucléaire de la France.
C’est toujours dans un souci de vérité et de transparence que nous avons lancé le projet de centre de mémoire et commandé en 2018 auprès de la Maison des sciences de l’homme du Pacifique un programme de recherches pour contribuer à la nécessaire mise en lumière des faits historiques et à la sauvegarde de la mémoire des essais nucléaires en Polynésie française. Le manuscrit « histoire » est attendu pour la fin mai et le manuscrit « mémoire » pour septembre. Un colloque sera organisé à l’Université en octobre.
Je sais bien que certains ont des a priori sur ce travail de recherche, estimant qu’il est biaisé parce qu’il est réalisé par des chercheurs français. Je leur dis d’attendre le résultat de ce travail avant de se prononcer.
J’ai souhaité par ailleurs que le fait nucléaire soit enseigné dans nos écoles dès le CM1 et jusqu’en terminale. Ce projet a été porté par le ministère avec la DGEE et le vice-rectorat. Il s’agit pour les élèves de se saisir progressivement de toutes les dimensions du fait nucléaire, au travers de leur parcours scolaire et de différentes disciplines qui sont autant d’entrées qui permettent d’enrichir la connaissance et la compréhension, non dans une logique partisane, mais dans l’esprit du développement citoyen et du libre-arbitre.
Je voudrai aussi rappeler que nous nous sommes préoccupés de la reconversion des sites de défense. En tant que vice-président dans le gouvernement de Gaston Tong Sang, j’ai mené les travaux qui ont abouti à la signature du contrat de redynamisation des sites, le CRSD, qui a été suivi, laborieusement il est vrai, de la rétrocession des terrains militaires aux communes de Papeete, Faa’a, Arue, Mahina, Tairapu-Est et Pirae. Nous avons également engagé la dépollution et la réhabilitation de Hao, même si la question du traitement des terres polluées n’est pas encore réglée à ce jour et fait l’objet de discussions serrées entre nous et l’Etat.
Qu’on ne vienne pas me dire que je veux cacher des choses ou occulter des vérités. Je peux affirmer que les gouvernements que j’ai présidés depuis 2014 ont fait ce qui est nécessaire pour la reconnaissance par l’Etat du fait nucléaire et de ses conséquences pendant que d’autres gesticulaient dans le vide, que certains voulaient se faire une publicité à bon compte sur le dos des victimes.
Il est certain que nous ne sommes pas arrivés au bout de ce travail. Je le redis, l’Etat a un devoir de vérité et de justice vis-à-vis des Polynésiens.
Votre gouvernement et sa majorité ne sont pas dans l’incantation permanente. Ce qui nous porte dans cette recherche de vérité, ce sont des actes concrets pour qu’enfin ce débat sur le nucléaire soit apaisé. C’est la démarche entreprise par nos sénateurs qui ont saisi le Premier ministre ou par la demande de notre députée Maina Sage d’une commission d’enquête parlementaire.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai sollicité du Président de la République pour que nous puissions tous nous mettre autour de la table, en présence de toutes les parties concernées, pour définitivement et sincèrement mettre tout à plat, s’agissant des conséquences sanitaires, sociales, environnementales et économiques des essais nucléaires.
Cet état d’esprit nécessite de notre part une union sacrée. Comme l’a dit Marguerite Lai : « aujourd’hui, c’est fait. Il faut réparer. Nous devons travailler ensemble pour réparer ».
Voilà, mes chers amis. La publication de cette enquête et du livre « Toxique », je l’espère, auront le mérite de rappeler à l’Etat toute sa responsabilité et le devoir de transparence qu’il doit à tous les Polynésiens qui ont souffert dans leur chair, qui souffrent encore, et qui veulent connaître la vérité. C’est ce qui doit être notre ambition commune, en dehors de vaines polémiques.
Soyons toujours plus forts que notre passé, peut-être alors que le futur nous accordera une chance….
Je vous remercie.